Le deuil de l'enfant parfait



"Dès ma naissance et même avant, on espère que j'aie tous mes morceaux bien en place. On scrute chacune des parties de mon corps.  On compte... 8,9,10 orteils! Tout est là, bien en place comme les autres enfants. Ouf!  Soulagement!

Puis, vient le temps du développement moteur.  Je rampe, me traîne à 4 pattes, grimpe, me lève debout, marche, cours, tombe, cours encore.  Tout se déroule comme il le faut comme les autres enfants.  Ouf!  Soulagement!

Ensuite, je babille, placote, crie, baragouine, parle. On ne comprend pas tout ce que je dis. Je communique par des signes et me mets parfois en colère. Grande soeur ne parlait-elle pas à mon âge?  Pourtant, tout est là bien en place comme les autres enfants.  Mes parents s'interrogent. Mais pourquoi ne parle-t-il pas lui aussi?  Prendrait-il du retard?  Et si on ne le stimulait pas assez?  Que doivent-ils faire de plus?  Ces questions se mêlent à celles de l'entourage qui martèle d'observations sur moi, leur fiston.  Tout ne se déroule pas vraiment comme les autres enfants.  Ouf!  Anxiété!

Les otites s'en mêlent.  Incessantes, elles me rendent visite religieusement presque mensuellement et me harcèlent ainsi jusqu'à mes 6 ans. Clinique, pharmacie, hôpitaux...  Je n'entends donc pas toujours bien.  Tout ne se déroule pas totalement comme les autres enfants.  Ouf!  Stress!

Maman lit, se questionne, s'entoure de spécialistes qui en connaissent long sur le sujet.  Puis, la ronde des rendez-vous débute, tel un manège qui ne veut plus s'arrêter, qui donne le tournis et le vertige.  Médecin de famille, pédiatre, ostéopathe, naturopathe, chiropraticienne, audiologiste, orthophoniste, neuropsychologue, ergothérapeute... Les professionnels se succèdent à un rythme fou sur plusieurs années. Ouf! Épuisement!

Les semaines deviennent des mois, les mois des années.  Je grandis, développe des stratégies pour pallier à mes difficultés, réussis quand même bien à l'école, mais la déteste et chéris les vacances et moments de répit où l'école me semble loin, loin de mes difficultés, de la fatigue et du stress de mes longues journées.

Maman est enseignante, au primaire qui plus est.  Elle connaît bien les enfants de mon âge et est outillée pour faire face à toutes sortes de difficultés à son école.  Des troubles d'apprentissage, elle en a vus depuis qu'elle enseigne.  Depuis que je suis petit, elle n'a pas lâché.  Elle a cherché des solutions et surtout, elle s'est bien entourée de gens pour l'aider à m'aider.  Maman, elle m'accepte comme je suis, comme un petit garçon imparfait parfait pour elle."






Bien humblement, je partage ici une tranche de ma vie, celle d'une maman comme plusieurs autres qui a dû vivre les étapes du deuil de l'enfant parfait.  D'une maman qui a, à un moment ou à un autre, senti de la culpabilité face aux difficultés que vivait son enfant. D'une mère qui a voulu amener son fiston à actualiser son potentiel malgré ses difficultés et les écueils du système hospitalier et scolaire. D'une enseignante qui bénit le ciel d'avoir choisi ce métier et d'avoir des connaissances pouvant lui être utiles aussi dans son quotidien de mère.


Comme tous les autres parents qui ont des enfants éprouvant un trouble d'apprentissage, j'ai dû faire le deuil de l'enfant parfait.  C'est un processus en plusieurs étapes tout comme le décès d'un être cher:

1.  Le choc
Court, il nous sidère et nous laisse dans un état second.  C'est l'annonce du diagnostic ou la prise de conscience du problème.

2.  Le déni
On refuse de croire au diagnostic, au problème.  Cette étape peut être de courte ou de longue durée.  Puis, vient la place à la discussion, à la réflexion intérieure.

3.  La colère
On peut se révolter contre les faits, faire monter notre colère face à la situation qui nous échappe.  

4. La tristesse
La peine nous envahit et avec elle le sentiment parfois d'injustice.  Qu'a-t-on fait pour que cela nous arrive?

5.  La résignation
On abandonne notre lutte et on se résigne au diagnotic.  On ne peut rien y changer.  Cela annonce le début d'une possible acceptation.

6. L'acceptation
On digère la nouvelle et on l'accepte comme faisant partie d'une réalité nouvelle.  On s'adapte, on voit les possibilités de solution qui n'étaient pas visibles auparavant.

7. La reconstruction
Le sentiment de vulnérabilité s'estompe et fait place à un nouvelle énergie face au diagnostic.  On se reconstruit en tant que parent, même en tant que famille (car avoir un enfant en trouble d'apprentissage a un impact sur tous).  On met de côté notre culpabilité.  On est en mesure de s'entourer de ressources pour nous aider à mieux vivre cette nouvelle réalité.


Durée du deuil
Et ce deuil, il prend combien de temps?  Chacun est différent.  Notre résilience, notre positivisme, notre capacité à rebondir sont variables d'une personne à l'autre.  Et le pire dans tout ça, c'est que chacune des étapes qui nous amènent au diagnostic de trouble chez notre enfant, chacun des rendez-vous auprès des spécialistes ramènent avec eux d'autres deuils petits et grands.  C'est à recommencer...


J'ai la conviction que de devenir mère a fait de moi une meilleure personne.  D'être la mère d'un enfant en trouble d'apprentissage a fait de moi une meilleure enseignante.  

Armée d'empathie et d'écoute, je comprends maintenant mieux certains parents qui refusent parfois de voir les difficultés académiques et développementales de leur enfant.  Je sais que lorsqu'un parent n'accepte pas que des services de professionnels en milieu scolaire soient offerts à leur enfant malgré mes recommandations ou minimise l'impact que peuvent avoir le comportement ou les résultats scolaires de leur enfant, il s'agit parfois d'étapes du deuil qui ne sont pas franchies.

Je fais moi aussi preuve de résilience.  Je suis consciente que je suis parfois celle qui fut la première à mettre en évidence le trouble de l'enfant ou, bien souvent, la troisième ou quatrième intervenante à l'avoir fait.  Je fais partie d'un rouage du processus de deuil et je ne peux l'accélérer.  J'essaie de ne pas prendre les refus d'aide comme des échecs.  J'ai fait ce que je devais faire en tant que professionnelle.  

Les parents doivent maintenant vivre leur propre deuil de l'enfant parfait.  Et dans mon coeur de maman, je souhaite qu'ils en viennent à l'accepter comme il est, comme un enfant imparfait parfait pour eux.



Références
http://www.cdeville.fr/article-32408659.html
http://www.dioceserimouski.com/capd/doc/fiche1_1deuil.pdf

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